« Créer une maison d’édition en 2020 en plein confinement, alors que la librairie et les métiers du livre (et le monde en général !) sont en crise, relève d’un pari assez fou, j’en conviens. Il s’agit de réinventer un cocon pour les écrivains où l’on puisse « habiter un livre » comme l’écrit joliment Lionel Duroy, et se retrouver tous en harmonie avec cette fratrie de vrais lecteurs et libraires pour qui le monde s’écrit et se lit… »
par Betty Mialet
© Maxime Reychman
Mialet-Barrault Éditeurs est à la fois le premier chapitre d’une nouvelle histoire pour nous, nos auteurs, leurs lecteurs, nos nouveaux partenaires, mais surtout le prolongement d’une longue aventure.
Je suis entrée dans l’édition dans les années 70. Nous avons créé Stock 2 avec Jean Claude Barreau au sein des Éditions Stock, où nous avons publié une centaine d’ouvrages. Cela a duré jusqu’en 1981. La même année, Bernard Barrault a été nommé directeur général de Stock. Puis en 1983, il m’a convaincue de créer avec lui les Éditions Barrault. La complémentarité de nos caractères, de nos parcours, ainsi que notre complicité absolue durent depuis plus de quarante ans.
De 1983 à 1992, les Éditions Barrault ont publié de la littérature française contemporaine. Nous avons commencé par deux gros succès. Ania Francos et Gilles Perrault, nous ont permis grâce à leurs livres d’avancer l’argent nécessaire pour écrire à de jeunes auteurs alors inconnus tels Philippe Djian, Jacques A. Bertrand, Lionel Duroy, Michel Field, Laurent Bénégui, Jean-Luc Marty, etc.
Soucieuse de rapprocher le milieu du cinéma de celui de l’édition, j’ai (entre autres projets) envoyé le manuscrit de 37°2 le matin à Jean-Jacques Beineix avec le succès que l’on sait.
En 1994, Bernard Fixot ayant été nommé PDG des Éditions Robert Laffont, il a demandé à Bernard Barrault de le rejoindre pour s’occuper de l’audiovisuel. Nous l’avons retrouvé avenue Marceau. Très rapidement je suis devenue ou redevenue ainsi l’éditrice de quelques amis tels Frédéric Mitterrand, Isabelle Alonso, Bernard Kouchner, André Glucksmann, Dany Cohn-Bendit et Maryse Condé… Puis Bernard Fixot nous a invité à reprendre les Éditions Julliard.
À partir de 1995, nous y avons publié de la littérature française contemporaine, les écrivains que nous avions déjà découverts et ceux que nous allions découvrir. Des auteurs aussi divers que Jacques A. Bertrand, Jean Teulé, Philippe Jaenada, Yasmina Khadra, Mazarine Pingeot, Lionel Duroy, Fouad Laroui, Philippe Besson, Denis Robert, dont la notoriété ne cessera de croître tandis que des auteurs nouveaux, tels Murielle Magellan, Elsa Flageul, Anne Akrich, Sophie Brocas, Loulou Robert, Samuel Doux, Arthur Nesnidal, traceront leur sillon… Nous y sommes restés 25 ans. Les succès se sont enchaînés, de nombreux films aussi, tirés des livres de nos auteurs…
L’environnement ayant beaucoup changé, nous avons été convaincus de revenir au modeste artisanat qui a toujours été le nôtre et de continuer à nous consacrer à ce que nous savons faire, offrir le meilleur accueil possible aux écrivains. »
« Avant tout, je suis un lecteur. J’ai toujours aimé l’état de lecture, ce moment de liberté où, en toute impunité, on peut nourrir son imaginaire de toutes les sensations et de toutes les émotions qu’un inconnu a su recréer en jouant avec les mots. Devenir éditeur, c’est faire de ce plaisir son métier… »
par Bernard Barrault
Parce que l’édition est soumise au temps long, aux égos à vif et que les objectifs à atteindre s’éloignent au fur et à mesure qu’il s’en approche, l’éditeur est obligé de s’en tenir au respect et la confiance. Il faut respecter tous les gens avec qui vous travaillez et leur faire confiance. Les auteurs, bien sûr, les lecteurs, les libraires, les journalistes et, en règle générale, tous ceux avec qui vous devez entretenir une relation professionnelle. Chaque jour, Il faut résister à la tentation de bafouer ces deux principes. Si celle-ci est trop forte et si ce respect et cette confiance ne sont plus réciproques, il faut partir.
L’édition, comme tous les métiers, est une activité complexe et mal connue. Ce qui n’a aucune importance. Si vous considérez la littérature comme un jardin extraordinaire, il ne faut pas oublier que dans les beaux jardins ce ne sont pas les jardiniers qui sont importants, ce sont les fleurs. D’aucuns diront que dans l’édition, la fleur est le livre, ce qui est vrai. D’autres, que ce sont les auteurs, ce qui n’est pas faux. Pour moi, la fleur naît chaque fois qu’un lecteur ouvre un livre et lit la première phrase. Geste quotidien, d’une extrême banalité, commis des milliers de fois chaque jour mais qui, pourtant, reste la seule justification du métier d’éditeur. La fleur peut être une magnifique orchidée, une rose délicate, une marguerite, une pâquerette, voire une fleur en crépon. Peu importe. Le travail a été fait.
Le plaisir de l’éditeur est d’entretenir avec les écrivains une relation privilégiée. Pour être un bon écrivain, outre le talent, la générosité, l’intelligence, une extrême sensibilité, il faut sans doute être, dans le même mouvement, égocentrique, obsessionnel, déconnecté du réel. Pour un éditeur, les écrivains sont des partenaires de jeu coriaces, indociles mais délicieux. Plus ils sont cinglés, mieux c’est.
L’édition française est un écosystème qui s’autofinance. Système intelligent et complexe, il s’est réinventé en permanence en fonction des transformations sociales et professionnelles qui n’ont pas cessé de bousculer les règles de cette organisation pendant les dernières décennies. Le principe est de redistribuer de façon équitable l’argent généré par la vente des livres entre tous les acteurs du métier. En particulier entre les auteurs, les éditeurs et les libraires qui sont les partenaires essentiels de la diffusion des livres. Tout ce qui menace l’équilibre de cet écosystème doit être combattu avec la plus grande détermination.
Respecter ces quelques principes occupe chaque jour de la vie d’un éditeur. Tout le reste est du temps perdu mais je n’aurais pas l’outrecuidance de reprocher à qui que ce soit de consacrer son existence à la recherche du temps perdu. Un jour, j’ai fait remarquer à un ami éditeur que, n’ayant aucun diplôme, la mention « Sait lire et écrire » portée sur mon livret militaire, résumait assez bien le métier d’éditeur. Il m’a répondu : « Non. La définition exacte, c’est : Sait lire et compter. » Imparable. »