Cœur-d’amande
Yasmina Khadra
En librairie dès le 21 août 2024
Au pied du Sacré-Cœur où il habite, la vie n’a pas gâté Nestor. Rejeté à sa naissance par sa mère qui n’a pas supporté qu’il soit anormalement petit, il vit chez sa grand-mère qui l’a recueilli et qu’il adore. Elle subvient à leurs besoins avec sa maigre retraite de professeur de français tandis que son petit-fils, animé d’une inlassable vitalité et d’un incurable optimisme, cherche et trouve mille occasions d’améliorer leur ordinaire dans ce quartier de Barbès où s’entremêlent tous les peuples, tous les destins, tous les désespoirs. Yasmina Khadra fait ici un portrait éblouissant de ce quartier singulier et de sa population.
Mais le jour où la vieille dame commence à perdre la tête et doit être placée dans une maison de retraite, sa fille décide de vendre l’appartement qui est le seul refuge de ce fils qu’elle ne veut toujours pas connaître. Pour Nestor, tout s’effondre. Il lui reste la violence de ses rêves et les mots que lui a appris sa grand-mère. Ces mots qu’il va jeter sur le papier pour crier cette rage de vivre qui l’habite. Dans le quartier, ses amis arabes le surnomment « Cœur-d’amande ». Ce sera le titre de son livre.
Et qui sait… Nul n’est à l’abri d’un succès.
Yasmina Khadra est l’auteur de la trilogie Les Hirondelles de Kaboul, L’Attentat et Les Sirènes de Bagdad, ou encore Ce que le jour doit à la nuit. Traduits dans une cinquantaine de pays, ces livres ont touché des millions de lecteurs dans le monde.
Photo © D.R.
Extrait
Je m’appelle Nestor, j’ai trente et un ans et je suis un nain.
J’ai les yeux clairs, des mèches blondes sur les sourcils pour cacher une légère proéminence frontale, et pas de signes particuliers notables, hormis une petite cicatrice sur la joue droite, souvenir d’un lointain croche-pied dans la cour de récré.
Je vis chez ma grand-mère. À Montmartre, rue de Steinkerque. Dans le même immeuble qui m’avait vu débarquer un soir de grande dispute, empaqueté dans des langes souillés, à moitié mort de faim. Nous logeons au troisième étage d’un vieux bâti sans ascenseur. Notre appartement est petit, mais il a l’avantage de donner, côté rue d’Orsel, droit sur le Sacré-Cœur. Quand j’étais plus jeune et insomniaque, je montais souvent à la basilique, vers 4 heures du matin, et je restais là, assis sur une marche, à attendre que le jour se lève sur Paris qui étalait la prairie de ses lumières à perte de vue. C’était un moment à moi tout seul, un moment où il me semblait que rien ne pouvait m’atteindre.
Je vous mentirais si je vous disais que je n’en ai pas bavé. J’ai souvent touché le fond, sauf qu’à chaque tasse bue, je donne une bonne ruade dans la vase, comme sur un tremplin, pour remonter plus vite qu’une torpille. C’est dans ma nature d’encaisser sans jeter l’éponge.
J’aime rire, déconner, me faire mousser et rêver, rêver de sacres improbables, renaître là où les vents s’essoufflent, fermer les yeux et me farcir des univers merveilleux pavoisés de feux de Bengale, gagner le coeur de la fille que j’ai matée un soir, sans oser l’aborder, pendant qu’elle lisait tranquillement un bouquin sur un banc public, ou bien celui de la belle qui attendait le bus au coin de la rue en parlant dans son téléphone ou bien encore celui de la vestale qu’on ne rencontrera jamais. Qui m’empêche de me prendre pour le tombeur des femmes à ailes blanches, ou pour le héros inoxydable de mes films préférés, ou encore pour le comte de quelque chose qui ne dit rien à personne et qui sera mon titre de noblesse à moi ?
Je considère l’existence comme une offrande inespérée sous une cloche de verre piégée. J’ai le choix entre la contempler en salivant dessus ou bien soulever la cloche. J’ai choisi de prendre le risque. Il n’y a pas de risque non négociable pour celui qui veut vivre pleinement sa vie. Celui-là doit savoir gérer les échecs, relever les défis et se désaltérer dans la sueur de son front comme dans une eau bénite. Le monde est une combinaison de hauts et de bas et nous en faisons partie. Personne n’y peut changer grand-chose, mais chacun doit composer avec. Si le commun des mortels a du mal, parfois, à se regarder dans un miroir, je passe un temps fou à me faire du gringue dans la glace comme si j’étais une pin-up à poil sur une plage des Caraïbes. Le narcissisme n’est pas un privilège que s’adjugent exclusivement les beaux gosses ; il est, quelquefois, l’expression naturelle de la joie de vivre.